Justice transitionnelle

“Au-delà du bien et du mal il existe un champ. C’est là que je te retrouverai.” (Rumi)

Au mois de mai 2022, je suis invitée à intervenir dans le cadre du Certificat en Justices transitionnelles, formation universitaire proposée à Bruxelles et en distanciel par l’Université de Louvain, l’Université libre de Bruxelles et l’ONG RCN Justice & Démocratie. Cette formation propose une approche interdisciplinaire, alliant droit, littérature, sociologie, science politique, cinématographie. Elle accueille des intervenant·es du monde académique mais aussi de terrain.

Mon métier de recueilleuse de récits de vie implique une certaine expertise de l’écoute de l’autre. Chaque relation de confiance se précise, se construit. On s’apprivoise. Cela s’apprend et c’est cet aspect de ma pratique que je vais partager dans le cours « Récits de vie et situation post-conflictuelle » avec ma collègue Béatrice Chapaux.

La justice transitionnelle peut être ainsi définie : « Depuis la Seconde Guerre mondiale, plusieurs juridictions internationales ont été créées, dans le monde, en réponse aux crimes internationaux qui avaient été perpétrés. Elles sont connues du grand public. Elles ne constituent toutefois pas la seule réponse. Différentes stratégies peuvent être mises en place par les sociétés qui ont fait face à des crimes de masse et/ou des dictatures afin de constituer un état de droit et trouver les conditions d’une paix durable. Cette pluralité, regroupée sous le vocable de justices transitionnelles, s’articule en 5 branches qui peuvent intervenir de manière concomitante ou tout à fait indépendante :

  • La mise en place de Commissions de vérité et/ou de réconciliation afin de rechercher la vérité sur les exactions passées et offrir un espace de parole aux victimes des exactions commises.

  • L’engagement de poursuites judiciaires au cours desquelles les auteur·es des crimes sont identifié·es et poursuivi·es ou le recours à des modes alternatifs de résolution des conflits et/ou autres mécanismes endogènes.

  • L’organisation de réparations par le biais de restitutions ou par des mécanismes compensatoires réels ou symboliques.

  • L’identification de réformes institutionnelles : la restructuration du système politique et la définition de nouvelles valeurs.

  • Des démarches artistiques et/ou la création de lieux de mémoire et de commémoration. »

Témoigner (dans un récit ou dans un groupe) permet de prendre position et de dire : j’ai vécu ceci et j’en ai souffert. La reconnaissance est nécessaire à la construction identitaire de la victime, elle permet de ne pas négliger la honte qui peut être ressentie (est-ce ma faute ?) et de dissocier sa personne (son comportement, son identité) d’une situation de violence. Elle est aussi nécessaire aux auteur·es de crimes et à la société en général. Cette reconnaissance peut se construire de manière protégée au sein d’une instance qui incarne la société : « Le groupe est un espace transitionnel entre le psychique et le social » (De Gaulejac, Les sources de la honte)

Au sein du groupe, le dialogue, l’écoute de qui n’est pas soi, permet de décaler le regard : « Celui qui se croyait différent, parce que marqué par une tare à tout jamais, se rend compte que les autres sont ses semblables, qu'eux aussi ont été confrontés à des violences humiliantes et que le fait d'en parler, loin de renforcer la honte, la remet à sa place, comme une expérience existentielle parmi d'autres. (…) C'est sans doute là qu'il faut trouver la signification du désir "d'être soi-même" : c'est en définitive accepter d'être comme les autres, ni meilleur ni pire. » (V. De Gaulejac, Les sources de la honte. p. 283)